"Le call a ses raisons que la raison ignore"

Publié il y a 6 ans par Charlie R. Catégorie : Développement personnel
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Comment prenez-vous vos décisions ? Qu’est-ce qui guide vos préférences et vos jugements ?

Si on vous demande ce qui a motivé votre choix, vous êtes normalement en mesure de répondre. Vous croyez savoir ce qui se passe dans votre tête qui consiste souvent en une pensée consciente et logique. Mais ce n’est pas la seule façon, ni même la plus habituelle, qu’a l’esprit de fonctionner en particulier dans des conditions d’incertitude telles que celles que nous offre le poker.

Il s’agit de réfléchir ici sur les ressorts de la pensée, de s’interroger sur les mécanismes à l’oeuvre lorsque nous prenons une décision et ce à partir de l’ouvrage « Théorie des perspectives : une analyse de la décision face au risque » de Tversky et Kahneman * pour lequel ce dernier a remporté le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2002.

Envie de gagner ou peur de perdre ? « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ?

En général, on aime gagner et on déteste perdre mais notre aversion à la perte est beaucoup plus grande que notre envie de gagner. C’est ce que nous allons examiner à partir d’une expérience de pensée : Imaginez que vous soyez de 300 euros plus riche qu’aujourd’hui.

On vous propose le choix suivant :

  • A : un gain certain de 100 euros.
  • B : une chance sur deux de gagner 200 euros et une chance sur deux de ne rien gagner du tout.

Quel est votre choix ? A ou B ?

72% des individus interrogés répondent A. Les gens préfèrent en général recevoir nettement moins de la moitié d’une somme avec certitude  que de parier à pile ou face la possibilité de la recevoir en entier s’ils gagnent et rien du tout s’il perdent. La réponse aux pertes semble alors plus forte que la réponse aux gains. De même, si A en se promenant trouve 100 € ou si A en se promenant perd 100 €, ressentira-t-il ces deux événements avec la même intensité ? Selon Kahneman et Tversky (ibid), la joie éprouvée par le gain sera plus petite que la contrariété ressentie par perte. En effet, selon ces auteurs, la contrariété que l’on éprouve en perdant une somme d’argent est plus grande que le plaisir de gagner la même somme, contrariété qui peut être accrue relativement aux points de référence, par exemple la bankroll et la valeur subjective*  accordée à l’argent.

*C’est d’ailleurs pour cela qu’il est préférable de considérer sa bankroll de manière opérante en nombre de Buy in plutôt que comme une quantité d’euros car vous pourriez être influencé par la valeur subjective de vos mises.

On retrouve des versions de cette aversion à la perte dans de nombreux domaines comme l’économie, le sport, la justice* et bien sûr le poker.

*si on vous propose de vous racheter un billet pour un spectacle d’un groupe que vous adorez dix fois ce que vous avez payé pour vous l’acheter, vous refuseriez plus souvent qu’autrement cette offre. Par contre, très rarement vous accepteriez de payer ce montant dix fois plus élevé pour aller voir ce spectacle ! La douleur de vous en séparer est plus grande que le plaisir de vous le procurer. L’auteur et ses collaborateurs se sont aperçus que, à distance et difficulté égales, les golfeurs ratent moins souvent un putt pour obtenir une normale (éviter un bogey cad un coup au dessus du par) que pour réussir un birdie (un coup en dessous du par) (ils passent aussi bien plus de temps à s’y préparer). Cela signifie qu’à difficultés égales, le joueur va accorder plus d’importance à ne pas perdre plutôt qu’à gagner.

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L’aversion à la perte ou pourquoi nous sommes tous un peu trouillards.

Cette aversion est expliquée par la propension de notre cerveau à accorder plus d'importance aux mauvaises nouvelles qu'aux bonnes. Cette propension s’appelle le biais de négativité : elle consiste à porter attention davantage aux informations négatives qu'aux positives, à en tirer plus d'enseignements, et à les utiliser plus souvent. Cerveau pessimiste ?? Non. D’abord et avant tout, une nécessité vitale : détecter en quelques centièmes de seconde la menace d’un prédateur, développer son attention et son acuité vis à vis du risque est biologiquement prioritaire en comparaison avec l’espérance incertaine du plaisir.

Cependant, on voit d’emblée les conséquences négatives que peut entraîner cette aversion. En plus de nous rendre vulnérables à la manipulation de ceux qui joueraient sur nos peurs (théorie du complot, justification de mesures drastiques en politique pour éviter le pire…), d’entraîner une surestimation des risques (peur de prendre l’avion alors que leurs chances d’être tués dans un accident de voiture sont bien plus hautes et c’est d’ailleurs ce qui fait le bonheur des compagnies d’assurance.*) et plus simplement de nous empêcher parfois d’apprécier notre existence, elle peut nous faire passer à côté d’opportunités de bénéfices que ce soit financièrement ou psychologiquement. * Les évènements rares sont également surestimés et nous sommes prêts à payer la certitude et la tranquillité. Il en est de même des règlements hors cour dans des poursuites. Bien souvent un accord rapportant bien moins qu’escompté (même en tenant compte des frais d’avocats) sera accepté même si la personne qui poursuit l’autre est presque (la clé est le «presque») certaine de l’emporter. La petite probabilité de perdre a plus d’importance que la différence de gains souvent disproportionnée par rapport à la probabilité de perdre. Dans toutes les négociations, le statu quo est la base au-dessous de laquelle il ne faut pas descendre sous peine d'avoir l'impression d'échouer.En matière de choix, il existe une constante dans nos décisions : la surestimation du résultat. Face à la prise de risque, il nous semble souvent préférable de choisir un arrangement, même s'il est moins favorable, plutôt que de risquer plus gros. Dans le milieu de la finance, par exemple, certains investisseurs préfèrent consacrer une grande partie de leur portefeuille dans les obligations bien plus que dans des actions malgré le potentiel de gain plus élevée avec celles-ci (6,5 contre 0,8).

De même, sur les marchés financiers, l’aversion à la perte se manifeste par ce que l’on appelle l’effet de disposition qui indique la tendance des investisseurs à retarder la vente des actifs qui subissent des pertes afin d’éviter temporairement la sensation désagréable du regret. Dans les salles de trading, les investisseurs professionnels mettent en place des techniques préventives pour contrecarrer leur aversion à la perte, comme des ordres de ventes automatiques lorsque les pertes dépassent un certain montant

Au poker : si par peur de perdre, dans un tournoi, on remet sans cesse l’action à plus tard, on se condamne inévitablement à perdre ses jetons et ses chances de remonter par la suite. Les tableaux de Nash, par exemple, déterminent la stratégie optimale, pour chaque joueur, de push et de call en fonction de certaines conditions (nombre de joueurs qui jouent le coup, la quantité de jetons, sa position…) et permet d’éviter de différer en vain la prise de décision.

L'aversion aux pertes est donc le lot commun de nos décisions et doit être modérée par une vision externe. Il peut, par exemple, être inutile voire dangereux psychologiquement de vérifier sans cesse sa bankroll, ses moindres variations, up and down swing; le result-orientisme est un effet de l’aversion à la perte; chaque perte est ressentie beaucoup plus profondément que les gains. L’état d’esprit dans lequel vous abordez votre session de jeu peut être très influencé par cette aversion à la perte (resserrer son jeu, être moins confiant, moins agressif…). Trop de prudence et trop de concentration sur les pertes empêchent la prise de risque et freinent l’évolution.

Le biais d’optimisme ou pourquoi le fish est téméraire.

Imaginez maintenant une variante de l’expérience précédente : vous êtes de 500 euros plus riche qu’aujourd’hui et on vous propose le choix suivant :

  • C : une perte certaine de 100 euros.
  • D : une chance sur deux de perdre 200 euros et une chance sur deux de ne rien perdre du tout.

Quel est votre choix ? C ou D ?

Lorsque la loterie comporte un risque de perte, seuls 36% des gens choisissent l’option C qui vous condamne à une perte certaine de 100 euros. (Rappelez-vous dans l’expérience précédente, 72% choisissaient le gain certain). Ce qui est frappant, c’est qu’en terme d’espérance de gains, les deux problèmes sont totalement équivalents ! Selon la théorie de l’utilité espérée, et si nous étions des être purement rationnels, nous aurions dû choisir des positions symétriques. Dans le premier problème, les deux alternatives sont évaluées dans le domaine des gains, incitant alors à la préférence pour un gain certain, en vertu de l’aversion pour le risque dans ce domaine.

Dans le second problème , elles sont évaluées dans le domaine des pertes, incitant alors à la préférence pour l’option risquée, en vertu d’un comportement de prise de risque dans ce domaine.

Dans notre vie quotidienne, nous n’évaluons pas les perspectives de gains et les perspectives de pertes de la même façon. Cette propension se retrouve encore une fois dans de nombreux domaines.

Lorsqu’on demande à des fumeurs réguliers, par exemple, quels sont leurs risques de mortalité prématurée, ces personnes vont avoir tendance à améliorer leurs perspectives futures. En psychologie cognitive, ce processus est appelé le biais d’optimisme . Ainsi si on l’applique au poker, c’est ce qui pourrait expliquer qu’un joueur inexpérimenté qui serait engagé dans un coup et donc déjà dans la perte potentielle, call jusqu’à la river espérant toucher leur carte ou même jusqu’au showdown sans avoir évalué de manière juste les probabilités qu’un ou plusieurs adversaires aient un meilleur jeu, ou bien le syndrome désespérément inconscient du « je vais toucher » ou « je vais me refaire ».

Connais-toi toi-même…

La prise de décision d’un individu ne relève donc pas strictement de sa raison mais implique des mécanismes dont il n’est pas toujours conscient. Prendre conscience de ces habitudes intellectuelles, notamment de l’aversion à la perte, permet de se libérer peu à peu de ce qui peut freiner dans une progression. Ainsi à la citation Socrate, je préfère aujourd’hui celle de Gus Hansen : « Il faut apprendre à se comprendre et à se lire soi-même avant de comprendre et de lire quelqu'un d'autre. Ne pas le faire? C'est la principale erreur que commettent les joueurs de poker… et les joueurs du jeu de la vie également. »

"LE TALENT NE SUFFIT PAS. À PART QUELQUES RARES EXCEPTIONS, LES MEILLEURS JOUEURS SONT LES PLUS GROS TRAVAILLEURS"
MAGIC JOHNSON
 
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